Spotify, Deezer, Amazon Music, Youtube Music et tant d’autres, cette dernière décennie le nombre de plateformes de streaming audio s’est multiplié au point de devenir aujourd’hui des acteurs incontournables de l’industrie musicale aussi bien pour le consommateur que pour l’artiste. Retour sur l’histoire récente et l’actualité de cet acteur de l’industrie musicale, grand gagnant des dernières crises.
En 2008, le marché du disque français tombait à 600 millions d’euros, soit 50 % de moins qu’en 2002, année où l’ADSL a décollé en France. Ce chiffre illustre parfaitement cette période de difficulté de l’industrie musicale des années 2000 nommée “la crise du disque”.
Comment s’explique cette crise ? Premièrement par les avancées technologiques, les années 2000 ont en effet été marquées par l’arrivée massive de nouveaux outils tels qu’Internet ou les baladeurs numériques qui ont fortement discrédité le monopole technologique détenu par le CD.
Également, Internet a instauré un nouveau modèle économique basé sur l'accès gratuit aux informations et cette habitude de gratuité désormais acquise par les consommateurs a rendu moins pertinent l’achat de CD.
“Octet après octet, tout ce qui peut-être numérisé sera numérisé, rendant la propriété intellectuelle toujours plus facile à copier”.
Paul Krugman, prix Nobel d’économie
Ce progrès technologique a permis d’augmenter de manière exponentielle et de rendre quasiment gratuites les copies numériques des chansons rendant ainsi totalement obsolète les copies sur CD. De plus cette menace technologique s’est également couplée d’une menace délictuelle, en effet, le piratage de musique en ligne a dangereusement menacé l’industrie musicale. L’IFPI (Fédération Internationale de l’Industrie Phonographique) dans son rapport de 2008 déclarait ainsi que 95 % de la musique au format numérique serait d’origine piratée ce qui a constitué un manque à gagner considérable pour l’ensemble des acteurs de l’industrie.
C’est au début des années 2010 que l’essor progressif des plateformes de streaming musical a permis au consommateur de renouer légalement avec la gratuité de consommation de biens musicaux tout en permettant aux professionnels de la musique une rémunération. Mais avec l’essor de la gratuité de consommation, c’est dans l’attention du consommateur que s’est déplacée la rareté. En effet, sur Internet une quantité immense de contenu est gratuite non pas par philanthropie mais parce que le financement se trouve dorénavant dans votre attention que ces plateformes offrent à des annonceurs pour que vous voyiez leurs publicités. C’est ce nouveau système économique souvent nommé “l’économie de l’attention”, que les plateformes de streaming, massivement financées par la publicité ou par encore la collecte de vos données, ont pu attendre leur hégémonie actuelle dans l’industrie musicale. Aujourd’hui le streaming est inévitable, en 2019 il représente un chiffre d’affaires de près de 9 milliards de dollars pour une part de plus de 50 % des revenus totaux de l’industrie musicale dans le monde. De plus, la récente crise sanitaire a propulsé le secteur du streaming comme le grand gagnant de cette crise puisqu’il s’est démarqué comme la seule offre de musiques possible pendant les temps de confinement, et a ainsi vu le nombre d’abonnements considérablement augmenter.
Le principal modèle de rémunération des plateformes de streaming audio est le modèle dit du “prorata” : l’ensemble des revenus est à répartir entre les différents acteurs, en moyenne 30 % pour la plateforme, 60 % pour le distributeur et 10 % pour l’éditeur. L’inconvénient de ce modèle est qu’il privilégie les “gros” de l’industrie :
[Petit graphique des familles]
« Avec les plates-formes musicales comme Spotify, Deezer ou Apple Music, les artistes déjà riches deviennent encore plus riches, les pauvres encore plus pauvres et ceux qui étaient dans la moyenne ne s’en sortent plus » Suzanne Combo, déléguée générale de la Guilde des artistes de la musique (GAM).
L’étude réalisée par Aepo Artis en 2019 constate de cette manière que 90 % des artistes perçoivent moins de 1 000 euros par an grâce au streaming, et que seulement 1 % des artistes parviennent à gagner au moins un SMIC. Ce modèle de rémunération encourage donc les artistes à produire de la musique la plus commerciale possible pour être à tout prix dans les Charts et espérer une meilleure rémunération, la musique perdrait dès lors toute vertu artistique pour devenir une simple marchandise standardisée et uniformisée. De plus, ce cercle vicieux de la tendance à tout prix se retrouve aggravé par l’utilisation d’algorithmes qui vont proposer aux utilisateurs les tubes les plus populaires réduisant considérablement le champ de découvertes du consommateur, ainsi que par l’émergence de logiciels d’intelligence artificielle capables de créer instantanément et gratuitement des chansons répondant aux critères commerciaux du moment.
Heureusement la lueur d’espoir d’une rémunération plus juste pour les artistes émerge avec les modèles “user-centric” adoptés en 2021 par Soundcloud, ou “tip-centric” proposé par TopMusic. Ce dernier permettra aux fans, à partir du prix de votre abonnement, de rémunérer via des “tips” (pourboire en anglais) vos artistes favoris, ceux que vous écoutez réellement pour ainsi relancer de manière saine une industrie musicale encourageant véritablement la création de contenu. À travers le tip, on rétablit aussi l’engagement entre un artiste et son public par l'intentionnalité du geste.
Sources :